LA SAULNAIRE: ANCIENNE VERRERIE PUIS ORPHELINAT

Les ruines de la Saulnaire

La verrerie

Le 25 octobre 1766, le prince de Bauffremont avait obtenu la concession pour trente années, des mines de houille situées sur la terre de Faucogney et sur les territoires d'Aurière (le Rhien aujourd'hui) et de Mourière dépendant de la seigneurie de Ronchamp. Le prince de Bauffremont n'exploita pas à Mourière, mais en 1793 le sieur Célestin Grézely acheta les domaines de la princesse. La concession est expirée en 1796 car Célestin ne l'avait pas renouvelée. Le berceau de la famille Grézely fut le petit village de Miellin, près de Servance (Haute-Saône) dont la verrerie a fonctionné de 1730 à 1837. Joseph-Abraham Grézely qui vivait au XVIIIe siècle, était un fervent chrétien. Ses livres d'heures et de méditations longtemps conservés portaient à la première page la signature de son nom suivi du titre honorifique : Gentilhomme verrier, vrai titre de noblesse, concédé par les rois de France, pour encourager l'industrie du verre. Avant la Révolution, le fondateur d'une verrerie menait de front la vie du gentilhomme et du patriarche ; il allait de forêt en forêt chercher le combustible dont il avait besoin parce que l'emploi de la houille n'était pas encore en usage.

« Les verreries de Miellin, de Roye, de Malbouhans, de La Saulnaire, du Lyonnais, de la Chaux-de-Fonds et de Moutiers en Suisse appartenaient à des familles issues d'une même souche. Celle de La Saulnaire fut fondée au commencement du 19e siècle par M. Célestin Grézely. La Saulnaire, c'est-à-dire la région des saules, était, avant l'année 1800, une vaste forêt où se trouvaient plusieurs étangs et où il n'y avait aucune habitation. Célestin Grézely et ses fils Justin et Narcisse firent dessécher en partie les étangs et défrichèrent quelques hectares de terrain pour y bâtir la verrerie et ses dépendances, ainsi que des habitations de maitres et d'ouvriers ; ils créèrent des jardins, des vergers et des prairies, ce qui fit de ce domaine une agréable campagne. Elle était située entre la colline surmontée de l'antique sanctuaire de Notre-Dame du Haut, et le petit village de Malbouhans qui faisait alors partie de la paroisse de Saint-Barthélemy en attendant qu'il eut son église à lui. » La verrerie (four à 8 creusets) fut vraisemblablement mise en route en 1798 et produit essentiellement du verre à vitres.

Mme Célestin Grézely appartenait, elle aussi, à une famille très chrétienne. Sa mère, Mme Bolot, était connue à Miellin sous le nom de Sainte de la Montagne, à cause de sa piété et de sa charité pour les malades indigents. Justin et Narcisse Grézely étaient donc définitivement fixés à La Saulnaire d'où ils dirigeaient encore la verrerie de Roye tandis que celle de Malbouhans revenait à leur cousin, M. Bolot, après le décès de Célestin en 1830. En 1832, deux fours à 4 creusets où l'un produisait le verre à vitres et l'autre le verre à gobelèterie. Á coté, 4 autres fours séchaient le bois et quatre autres servaient à l'étendage. La verrerie emploie 61 personnes en 1832, et 32 manouvriers et 8 verriers en 1869. En 1846 il est nécessaire de reconstruire les creusets des fours. Cette opération entraine 5 mois de chômage et la construction de 2 fours de remplacement à la verrerie Bolot de Malbouhans. Á cette époque la consommation de bois est très importante ; plus de 2200 stères. Des forêts entières ont été rasées en attendant l'emploi du charbon de Ronchamp en 1869. La verrerie, dirigée par Jacques Worm, gendre de Justin, depuis 1848 comprend 8 creusets. Elle produit du verre à vitres en feuilles de 1,10 m X 0,80 m pour une épaisseur de 1,5 à 4 mm.

« M. Narcisse eut une existence assez triste. Veuf de très bonne heure. M. Justin, au contraire, eut le bonheur de trouver une épouse très pieuse en la personne de Mlle Lydie Ballay, de Ronchamp. Celle-ci introduisit à La Saulnaire la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus. Elle se montra très dévouée pour les familles des ouvriers de la verrerie, ainsi que pour les pauvres et les malades de sa paroisse, s'occupant particulièrement des jeunes filles qu'elle réunissait dans une sorte de patronage... Dieu lui donna trois filles : Anna, Marie et Louise. Les deux dernières moururent assez jeunes ; l'ainée seule devait fournir une féconde et longue carrière. Élevée chez les Dames de Saint-Maur à Vesoul, puis dans un bon pensionnat de Strasbourg, Anna Grézely était, à quinze ans, une jeune fille accomplie, d'une maturité supérieure à son âge. Ses parents la marièrent à M. Jacques Worm, de Sélestat, Alsace. M. Jacques Worm vint demeurer à La Saulnaire chez ses beaux-parents pour s'initier à la direction de la verrerie. Il fut bientôt aimé et respecté de ses ouvriers. Le 20 juin 1852, Anna donne naissance à une fille prénommée Anne-Marie. »

L'arrivée des Prussiens en 1871

En 1870, le 3 Novembre, elle écrit dans son journal : «Rien qu'un mot pour confier à mon journal l'anxiété profonde dans laquelle je suis plongée en ce moment. Une armée prussienne passe devant chez nous, se dirigeant vers Lure, et papa et maman sont à Lure depuis ce matin !... Mon Dieu, pourvu que rien ne leur arrive ! Les ennemis vont peut-être les entourer là-bas, et entrer chez nous ici... au moment où l'on aurait tant besoin d'être ensemble. Le canon gronde au loin depuis deux jours. » Le 12 janvier 1871, les Prussiens sont à la Saulnaire : «Ils ont piétiné dans le corridor, ouvert la grande armoire à côté de la porte de la chambre où j'étais, et ils criaient toujours : Brod! Schnapps! Speck (pain ! goutte ! lard). » Plus loin, dans son journal : «… les Prussiens avaient passé devant La Saulnaire très rapidement, et n'avaient requis, au village, qu'une quarantaine de livres de pain pour leurs blessés de Ronchamp. Pauvres habitants de Ronchamp !... ils sont réduits à manger des sons délayés dans du lait... »

Samedi, 4 février 1871 : « C'est le 19 janvier que les derniers coups de fusil se sont fait entendre auprès de chez nous ; depuis ce temps-là tout est centré dans un calme effrayant, et s'il était possible d'écouter le silence, nous serions devenus sourds, je crois, cette semaine. L'armée française, mise en déroute, nous a abandonnés à nos ennemis qui ne bougent plus de Lure et nous privent de toute relation avec le dehors. On ne sait rien du tout ; on craint seulement que Paris ait capitulé et que les affaires aillent très mal pour notre pauvre France. »
Samedi, 11 Mars 1871 : «Nous avons la paix, mais une paix bien triste, puisqu'on cède notre Alsace ! »

La construction de l'orphelinat et de la chapelle

Anne-Marie Worm et sa mère L'entrée de la Saulnaire La fontaine L'orphelinat Chapelle de la Saulnaire Eglise de Malbouhans

L'année 1876 devait orienter d'une manière définitive la vie de Worm. Ses parents résolurent de la conduire à Lourdes pour mettre son avenir sous la protection de la sainte Vierge.
La Saulnaire, 9 Janvier 1877 : « Mes parents viennent de prendre une décision importante : ils vont faire restaurer une maison située à quelques mètres de celle où nous demeurons actuellement, et qu'ils avaient cessé d'habiter depuis un certain nombre d'années. A cette maison on adaptera une chapelle qui aura une entrée extérieure, et où sera transféré le Saint-Sacrement que nous avons le bonheur de posséder depuis quinze ans, dans un petit sanctuaire domestique, à l'intérieur de notre habitation actuelle. »
Samedi, 13 Janvier : «Aujourd'hui est arrivée une très bienveillante lettre de notre archevêque. Il approuve de tout cœur la construction d'une chapelle, promet de venir nous y bénir…»
Vendredi, 19 Janvier : « Hier soir est arrivé mon oncle, le Supérieur des Sœurs de Ribeauvillé, très entendu en constructions. Il a visité avec nous la maison qui doit être réparée et il a pris les mesures de la future chapelle. L'architecte s'est annoncé pour jeudi prochain. »
Lundi, 19 Février : « C'est aujourd'hui qu'on a tracé et commencé les fouilles pour les fondations de la chapelle. »
Lundi, 26 Février : « Sur l'emplacement de la future chapelle se trouvent des tuyaux en terre cuite, qui conduisent les eaux d'une source dans une fontaine à l'usage des ouvriers. Il faut déplacer ces tuyaux. Le fontainier est venu aujourd'hui ; mais le temps est bien froid, bien mauvais, la neige commence à tomber, il est à craindre qu'on ne puisse pas poursuivre ce travail. »
Mercredi, 2 Mai : « Les fondations sont terminées depuis le 21 avril.»
Jeudi 17 mai : « vers trois heures, on posa la pierre d'angle. Ce fut sans cérémonie ; mais nous mîmes dans le creux préparé à cet effet, une petite boite contenant, avec la date du jour, trois médailles : l'une de Paray, l'autre de Lourdes, la troisième de sainte Odile. »
Vendredi 18 Mai : « Avant hier les maçons ont commencé les murailles de notre chapelle. »
Mardi 18 juin : «… on a placé le cintre de la porte ogivale de notre chapelle…»
Dimanche 15 Juillet : « Nous avons fait, mère et moi, deux voyages à Belfort pour acquisitions, et nous avons, les deux fois, passé une bonne partie de la journée chez les Sœurs de la divine Providence, Institut auquel La Saulnaire est destinée. »
Vendredi, 3 Août : « Mon oncle, le Supérieur des Sœurs de la divine Providence, est venu ici lundi dernier, 30 juillet. Nous lui avons exposé le projet de fonder un orphelinat à La Saulnaire et de le confier à ses Sœurs… Notre chapelle va être prête à recevoir sa toiture. »
Mercredi, 15 Août : « Les travaux avancent doucement. La toiture lambrissée attend le campanile et les tuiles ardoisées pareilles à celles du bâtiment d'habitation.
Mercredi, 29 Août : « Hier, fête de saint Augustin, les charpentiers ont monté la petite flèche de la chapelle. »
Dimanche, 16 Septembre : « J'ai trop peu de temps à moi pour beaucoup écrire ; les préparatifs de notre prochaine installation nous donnent de continuels tracas… Je revois, tout en travaillant à l'aiguille, mes études élémentaires, afin de me préparer à instruire les orphelines. »
Mercredi, 3 Octobre : « Hier notre cloche, ma chère filleule Marie-Léonie, a quitté la console où elle était fixée depuis environ un an, contre la muraille de notre habitation, et elle a été transportée dans le clocher de la chapelle récemment construite. »
Vendredi, 19 octobre : « fête de saint Pierre d'Alcantara, on a posé la croix sur la flèche. »
Samedi 17 novembre, bénédiction de la nouvelle chapelle.


Jeudi, 28 Février 1878 : « On a commencé aujourd'hui les réparations du logement qui va devenir l'orphelinat. On abat plusieurs cloisons afin d avoir un dortoir assez grand. »
Vendredi 3 Mai : « Deux enfants nous ont été présentées pour l'orphelinat le 1er mai : l'une, envoyée par M. le Curé de Saint-Barthélemy, a encore sa mère, pauvre veuve dont le travail ne peut suffire à l'entretien de ses six enfants. Eugénie P... est le nom de celle qui deviendra nôtre ; huit ans est son âge. Elle est d'une complète ignorance, ayant passé jusqu'à présent sa vie dans une forêt sauvage. Elle sait à peine former le signe de la croix. C'est une petite brune dont le regard semble être une interrogation habituelle et confiante. L'autre aspirante, venue le 1er mai, est une petite blonde âgée de six ans qui se nomme Rosine G... Elle a été amenée par sa respectable aïeule, munie d'une recommandation de M. le Curé de Mélisey. Hier, 2 mai, une troisième enfant nous a été présentée. Celle-ci est complètement orpheline, elle n'a point connu sa mère, et son père fut écrasé il y a quelques mois par une locomotive. Marie P... a sept ans et demi et habite Champagney.
Dimanche, 19 Mai : « Dans la matinée de lundi, 13 mai, une petite fille d'Aurières, paroisse de Ronchamp, nous fut amenée par son pauvre père, lequel vient de perdre sa femme et se trouve chargé d'une nombreuse famille. Cette enfant se nomme Joséphine D... et elle est âgée de sept ans. »
Jeudi, 30 Mai : « Il y a aujourd'hui quinze jours qu'a eu lieu la cérémonie d'inauguration de l'orphelinat. Tout s'organise peu à peu. Nous n'avons encore que quatre enfants… Parmi nos quatre enfants, l'ainée et la plus jeune sont particulièrement intéressantes. Eugénie, qui a huit ans, se montre naïvement surprise de tout ce qu'elle voit et entend ; elle ne sait pas un mot de français et balbutie timidement quelques phrases en patois… Rosine a six ans ; c'est une enfant dont l'esprit et le cœur sont doués de qualités exceptionnelles, et qu'on a déjà formée à la piété… Rosine a encore son père, mais auprès de ce père il y a une marâtre, laquelle battait l'enfant, la mettait coucher à l'étable ou la laissait seule dans la forêt. »
Dimanche, 23 juin : « Ce soir une cinquième enfant nous a été amenée, envoyée par M. le Curé de Lure. Elle se nomme Pauline, elle a huit ans et demi, et elle est fille d'une veuve. »


1879 : Peu de temps après l'ouverture de l'orphelinat on décida de renoncer à la verrerie… tous les efforts devaient se concentrer sur l'éducation des enfants. » « Pour ne pas diminuer le nombre de leurs protégées, Mmes Worm s'imposèrent de nouvelles privations. Elles renvoyèrent leur jardinier fleuriste, se mirent à confectionner elles-mêmes leurs robes et leurs chapeaux, et redoublèrent de diligence dans les travaux à l'aiguille. » En 1890 il y a 16 élèves dont 14 pensionnaires encadrées par deux institutrices-adjointes brevetées.
«Le 1er novembre 1891, au moment où elle se rendait à l'harmonium pour accompagner les chants de la sainte Messe, Mme Worm sentit un malaise inaccoutumé. Elle eut encore le temps d'appeler elle-même sa fille qui se préparait à la sainte Communion, puis devinant qu'elle allait avoir une attaque d'apoplexie, elle lui dit : « J'ai une attaque, ma pauvre enfant, que vas-tu devenir! » et elle perdit connaissance. » Mme Worm recouvra ses facultés mentales au bout de quelques semaines mais elle était entièrement paralysée du côté gauche. Elle s'éteignait doucement le 27 septembre 1894. M. Worm, malade, s'éteignit au soir du 16 avril 1895. Mlle Marie eut une lourde tâche à accomplir. Son père et sa mère ne lui avaient tracé aucune ligne de conduite pour assurer l'avenir de son œuvre, tout devant être subordonné aux évènements. La fin de l'orphelinat est proche. »
Le 13 octobre 1896, une lettre écrite de Vesoul venait annoncer à tout le personnel de La Saulnaire la triste réalité. Elle quittait la Saulnaire. Sa pauvre église menaçait ruine ; Mlle Marie laissa une somme importante pour la construction d'un nouveau sanctuaire : c'est là que furent transportés les restes vénérés des familles Grézely et Worm (église de Malbouhans de style néo-roman, inaugurée en 1901). Le 25 mars 1897, elle recevait le saint Habit des mains de Monseigneur notre Archevêque, en gardant ses noms d'Anne-Marie, chers à sa famille et à notre Institut.

Epilogue

En juillet 1912, le personnel de La Saulnaire reçut l'ordre brutal de quitter la chère demeure sous peine d'être expulsé par la force ; on n'eut pas la moindre pitié pour les larmes des orphelines et les protestations des personnes qui s'étaient vouées à leur éducation ; le pauvre mobilier des indigents fut vendu aux enchères, le 25 août ! (Extraits de -Sœur Anne-Marie Worm: religieuse de la Visitation. 1927- Source gallica.bnf.fr)

En janvier 1921 une petite annonce parait dans le ''Petit Parisien'' et ''Le Matin'' pour la mise en vente de la ''Saulnaire'' : -un premier lot comprenant : maison de maitre, autres bâtiments et dépendances, terres labourables, prairies, jardin, bois et étang. Contenance : 8 h. 25 a. 65 c. Mise à prix 18.000F. -un deuxième lot comprenant une forêt dite : La Saulnaire. Contenance 34 h. 65 a. (chêne, charme, hêtre, coudrier et bouleau). Mise à prix 30.000f.
14 décembre 1925 : décès de Sœur Anne-Marie.

Pendant la deuxième guerre mondiale, l'ancienne verrerie a servi de camps de prisonniers à des Indochinois qui faisaient partie de l'Armée Française en 1940. Après le jour ''J'', beaucoup se sont enfuis et se cachèrent dans la forêt et au Plainet ou cherchaient à gagner la Suisse. Il semble qu'une partie des bâtiments a servi d'accueil à une colonie de vacances dans les années 1970. Beaucoup plus tard des bâtiments ont été transformés en maison d'habitation. Dans les années 80(?) un incendie a ravagé l'ancien orphelinat et la chapelle, causé semble-t-il par des squatteurs ou des campeurs. De nos jours des maisons sont habitées.

Le porche d'entrée L'aile Sud L'aile Ouest Oeil de boeuf Vue logements ouvriers Logements ouvriers
Ruines de l'église La fontaine. Un vitrail cassé Détail d'un vitrail Pierres taillées Mariage église orphelinat
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