Terril en feu

LE CHAUDRON DU DIABLE AU TERRIL DU PUITS SAINT-CHARLES

L'embrasement du terril du puits Saint Charles de Ronchamp a défrayé la chronique de mai 1993 à mai 1994. Ce chapitre a pour but de faire un peu la lumière sur cette affaire qui a mobilisé, le propriétaire, la municipalité de Ronchamp, les associations écologistes (VSV, HSNE, CPEPESC), les services préfectoraux, le corps médical, la DDASS, la DRIRE, la DDE, le SDIS, la gendarmerie, la population de Ronchamp-Champagney et les médias. On a tiré à boulets rouges sur le Maire (Jean-Marie Maire), sur le propriétaire du terril (Pierre Vialis), sur la société Maglum et sur les services de l'État (Préfet et Sous-Préfet). Le terril était une propriété privée, donc hors de compétence du Maire. Pierre Vialis était judiciairement responsable même si la petite zone d'épandage des boues de la station d'épuration n'était pas de son fait. Il était tout de même responsable de l'embrasement accidentel du terril en faisant bruler toute sorte de déchets. Il n'a pas su en mesurer les conséquences. La partie polluée par les boues d'épandage n'a jamais été atteinte par le feu. Le rapport de Nicolas Théobald de 1975 apporte des précisions sur les pratiques de la Société Maglum dans le traitement des produits de traitement de surface. Ce rapport a été mis à la disposition des habitants le 18 janvier 1994 par VSV lors d'une réunion publique à la salle des fêtes de Ronchamp. Ce n'est qu'en 1976 que les députés ont voté des grandes lois sur la protection de la nature.

Le terril du Puits Saint-Charles

Le fonçage du puits Saint Charles commence en septembre 1845 et l'exploitation se termine en 1895. Les déblais étaient mis en tas, appelés "terrils" dans le Nord de la France et "crassiers" dans le Sud. L'exploitation a entrainé la production d'un énorme volume de déblais. Ce terril plat s'étendait sur une surface de 8 à 10 ha environ. Au nord, du coté de la voie ferrée Paris-Bâle, il ne fait que 2 ou 3 mètres de haut, tandis au Sud, le long de l'ancien canal de la filature il atteint les 10 à 12 mètres de haut. Il contenait encore un certain pourcentage de charbon du fait que l'opération de triage se faisait manuellement. De 1926 à 1931, les schistes sont triés et servent de combustible aux chaudières de la centrale électrique installée dans la plaine du Chanois. On y trouve également des fragments rocheux de grande taille (jusqu'à 15 ou 20 cm) et du grès charbonneux. Le terril présentait ainsi beaucoup de volumes vides contenant de l'air, donc de l'oxygène. Il peut aussi contenir d'autres déchets issus de l'exploitation; de vieux rails usagés, des traverses, des vieux bois de mine, des déchets de démolition, des produits de graissage, mais tous liés à l'exploitation minière de l'époque.

Il faut noter également la présence de la pyrite, appelée ''or des fous''. Durant la ruée vers l'or aux États Unis, beaucoup de mineurs confondaient la pyrite avec l'or à cause de son éclat et sa couleur. Elle est présente dans tous les bassins houillers et sa concentration peut varier d'un bassin à l'autre et même au sein d'un terril. C'est une espèce minérale composée de disulfure de fer (FeS2) : elle peut contenir des traces de nickel (Ni), cobalt (Co), arsenic (As), cuivre (Cu), zinc (Zn), argent (Ag), or (Au), thallium (Tl), sélénium (Se) et vanadium (V). Á noter aussi la présence de rognons de fer dans le terril. Légèrement aplatis, ils pouvaient mesurer de 40 à 50 cm de diamètre et peser plusieurs dizaines de kg. Nos mineurs les appelaient ''couille d'âne''. Le terril et les anciens bâtiments de l'usine MAGLUM ont été achetés par M. Pierre Vialis de Fougerolles en décembre 1984. Le site du puits Arthur de Buyer faisait également partie de l'acquisition.

Atelier des houillères en 1949

Feu de terril

La plupart du temps un terril s'embrase par accident, feux de friches, feux de décharge, etc… Cependant, l'oxydation de la pyrite peut aussi provoquer une accumulation de chaleur qui, au fil des ans, peut atteindre la température de combustion spontanée des débris de charbon. Une fois déclenché, l'incendie interne peut durer des années, voir des décennies en produisant une chaleur qui va provoquer la fusion partielle de certaines roches. Lorsqu'un terril brule, sa température peut monter jusqu'à 300°, 600°, voir même dépasser les 1000°. Dans le cœur du terril, d'innombrables réactions chimiques très complexes se produisent avec des dégagements de gaz toxiques et des fumées qui peuvent provoquer des problèmes de santé chez les sujets fragiles notamment pendant la période hivernale où l'inversion des températures engendre une stagnation des nuages de fumées.

  • Le carbone et l'oxygène donnent le gaz carbonique (CO2) et le monoxyde de carbone (CO) très dangereux.
  • Le CO se transforme en dioxyde de carbone CO2 et contribue à l'effet de serre.
  • Le carbone (C) et l'eau (H2O) produisent du CO et de l'hydrogène qui peut exploser suivant sa concentration.
  • Le sulfure de fer (FeS) et l'oxygène vont produire un gaz incolore, dense et toxique : l'anhydride sulfureux (SO2). L'oxydation de ce gaz produit de l'anhydride sulfurique (SO3). Ce gaz peut entrainer la formation de pluies acides qui ont pour conséquence une inflammation de l'appareil respiratoire.
  • Le soufre (S) et l'hydrogène (H) produisent un gaz inflammable, incolore et très toxique, à l'odeur nauséabonde d'œuf pourri, hydrogène sulfuré (H2S)
  • L'hydrogène (H) et l'azote (N) donne le gaz ammoniac (NH3).
  • L'azote (N) et l'oxygène (O) donne des oxydes d'azote (ou vapeurs nitreuses) encore appelés NOx. Ils proviennent essentiellement de la combustion des combustibles fossiles dans l'air à une température très élevée (1400 °C).

La coloration caractéristique des schistes après combustion est un indicateur sur les niveaux de températures qui ont pu être atteintes au sein du terril :

  • Schistes noirs : pas de combustion.
  • Schistes orangés : combustion partielle ou faible.
  • Schistes rouges : combustion normale, complète.
  • Schistes violets : combustion importante, élévation du niveau de température, parfois de l'ordre de plus de 1.000°C, ayant conduit à une modification minéralogique des divers constituants du matériau et à une véritable cuisson des argiles.

La production et la concentration de ces gaz dépendent de la composition du terril, de la température de combustion, de la météo, etc... En général on laisse se consumer un terril en feu sauf en cas de danger pour la population. Á Ronchamp, un terril au Chanois a brulé pendant des dizaines d'années. Le feu a sans doute été allumé par les résidus incandescents de la centrale électrique qui fonctionnait au charbon. La dernière fumée s'est définitivement estompée en 2006. Les associations écologistes sont parties d'un postulat : le terril en feu de Saint Charles contient des produits toxiques de la société Maglum. Beaucoup de chose ont été dites en se basant sur des informations inexactes ou exagérées et la véracité douteuse. C'est une véritable psychose qui s'est emparée de la population. VSV a même contesté les analyses faites par les pompiers ! VSV a comparé le terril Saint Charles à la décharge industrielle de Montchanin en Saône et Loire. Étendue à douze hectares, cette poubelle géante accueillait jusqu'à 30 camions par jour en provenance d'une partie de l'Europe !

Les rumeurs transmises par le bouche à oreille se sont retrouvées aussi dans la presse écrite. La Presse s'est aussi chargée de diffuser de fausses informations. Un exemple : un journal écrit ceci : «Vingt-sept enfants auraient été pris de vomissements et d'éruptions cutanées », un autre dit cela : « vingt-sept gosses ont été pris de vomissements sous l'influence des gaz émanant du terril» : cherchez l'erreur ! Á ma connaissance aucune communication n'a été faite sur la composition des émanations d'un terril en feu. Aucune preuve n'a été apportée quant à l'enfouissement de supposés produits polluants dans la partie du terril en feu ; il n'a jamais été une décharge industrielle ! Aujourd'hui (2020), rien ne vous empêche d'aller vous balader sur le terril sans aucun risque mais attention c'est une propriété privée!

Maglum

Dans un autre chapitre nous avons vu que la société MAGLUM s'installe dans les anciens locaux des Houillères de Ronchamp en 1958. Vers 1963, elle fabrique entre autres des accoudoirs, des poignées de portes en mousse de polyuréthane et armature métallique. En 1967, ces fabrications sont réalisées dans la nouvelle usine Maglum implantée à Giromagny. Il y a eu forcément des pièces rebutées ou des retours clients que l'on stockait à l'écart dans des containers ou paniers grillagés. Ils se sont sans doute retrouvés à l'extrémité sud de l'usine en attendant un hypothétique transport quelque part ! A cette époque que faisait-on des pièces rebutées et des déchets? Au fil du temps des pièces se sont sans doute éparpillées sur le terril. Ce n'est que le 15 juillet 1975 que sont votées des lois sur la gestion des déchets (élimination et récupération). Vers 1966, la société transfère de Fallon à Ronchamp ses deux chaines de traitements de surface : le chromage et le zingage-bichromatage. Il est probable qu'une station d'épuration avec des bacs de décantation est installée à proximité. Une chaine de peinture au pistolet voit le jour pour la production de pièces peintes. Plus tard, vers 1970-1975, une nouvelle chaine de peinture par trempage et égouttage est installée. Ces trois chaines de traitement de surface vont être la source de production de déchets toxiques. En 1973, une nouvelle station d'épuration est installée au bout de la chaine de chromage (coté ouest). La station produit des boues qui sont déversées dans le haut du terril en face au moyen d'un tuyau (genre tuyau de pompier) installé à demeure. Le pompage s'effectuait en général plusieurs fois par mois par le responsable de la station. Ce déversement n'a pas eu d'impacts visibles sur la nature; arbres, mousses et lichens ont colonisé toute la zone comme presque tout l'ensemble du terril comme le montrent les photos aériennes de 1980 à 2011.

Vers 1975, la société veut construire un nouveau bâtiment industriel pour y installer les chaines d'assemblage de produits finis. Un terrassement était nécessaire avant de couler la dalle en béton. Les pièces trainant au sol, les vieux bidons et poignées de portes sont enfouis dans le terril au passage de la pelleteuse ; ce n'est sans doute pas le chauffeur qui allait enlever ces déchets! Ce sont sans doute ces pièces qui étaient visibles dans la tranchée creusée en direction du Rahin le 27 octobre 1993. La société n'avait aucun besoin d'enterrer ses rebuts puisqu'elle possédait deux grands bâtiments couverts au puits Arthur de Buyer. Dans les années 1970-1975, j'ai personnellement vu dans l'ancien bâtiment de la machine d'extraction électrique de 1923, des tas de containers grillagés empilés et remplis d'accoudoirs et d'autres pièces en matière plastique. Ce local a d'ailleurs été incendié en 1984. L'autre bâtiment contenant près de 80 tonnes de pièces et cartons inflammables a bizarrement brulé en aout 1994. Dans cette affaire, les anciens dirigeants de la Société Maglum n'ont jamais été questionné sur les problèmes de rebuts, de recyclage ou sur le fonctionnement de la station d'épuration.

Au mois de mai 1975, un éminent scientifique, Nicolas Théobald, Professeur de géologie à la faculté des sciences de Besançon, Collaborateur principal du Service de la carte géologique, agissant en qualité de Géologue agréé en matière d'eau et d'hygiène publique pour la Haute-Saône et le Territoire de Belfort, a établi un rapport pour la MAGLUM sur les déversements d'effluents sur un terril de mines. Sur des prélèvements effectués le 22/4/1975 il conclut : « Il faut noter l'absence de chrome et de cyanures ; ce fait souligne l'efficacité du traitement de détoxication. » Il poursuit : «Le déversement sur le terril de mines semble pouvoir fournir cet élément régularisateur. San énorme masse semi-perméable représente une grande capacité de stockage, ne laissant s'écouler les eaux que très progressivement et retenant par adsorption une grande partie des éléments chimiques. Depuis novembre 1973, l'usine déverse à peu près une fois par mois 40 m3 d'effluents sur le crassier situé à l'Ouest de l'usine. L'eau s'infiltre en partie, s'évapore en partie, les boues se concentrent et en surface se formes une croute brun-verdâtre. La végétation ne semble pas souffrir de cet apport…» « …Il semble possible d'éviter la pollution et du moins d'en diminuer les risques en prenant les dispositions proposées plus haut et dont nous rappelons les principes :
1- opérer le déversement à intervalles rapprochés
2- déverser les boues dans une tranchée que l'on imperméabilise par apport d'argile
3- opérer par tranchées successives, parallèles, que l'on recouvrira de déblais…
»
Le document complet est disponible ici au format pdf : THEOBALD

Il est possible que la société ait flirté avec l'illégalité mais jusqu'en 1975-1976, il n'existait pas de lois de protection de l'environnement. Il a fallu attendre le 10 juillet 1976 pour que la loi relative à la protection de la nature soit votée par les députés. Cette loi pose les bases de la protection de la nature en France, en donnant les moyens de protéger les espèces et les milieux. Elle est composée de 43 articles répartis en 6 chapitres. Ainsi, tous travaux ou projets d'aménagement sont désormais soumis à des études d'impacts qui comprend au minimum une analyse de l'état initial du site et de son environnement et l'étude des modifications que le projet y engendrerait ainsi que les mesures pour les supprimer, les réduire et les compenser si possible.

Vue aérienne de 1981

Ce premier chapitre a pour but de mettre en place tous les ingrédients afin de mieux comprendre l'évènement qui a monopolisé l'actualité ronchampoise pendant près d'une année. J'ai découpé cette actualité en une dizaine de chapitres à partir d'articles de la presse d'époque (''Est Républicain'' et ''Le Pays'') et de documents personnels d'un ronchampois. J'ai aussi pu récupérer, par un hasard extraordinaire, le rapport d'un spécialiste des terrils, Yves Paquette de la société Ineris.

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